FIFF Namur: Des réalisatrices africaines primées à la 38ème édition

La 38ème édition du Festival International du Film Francophone de Namur (FIFF) affiche cette année quatre films africains dans sa sélection. Des films uniquement réalisés par des femmes: Banel & Adama de Ramata-Toulaye Sy et Le Spectre de Boko Haram de Cyrielle Raingou toutes les deux en Compétition 1ère œuvre, Mambar Pierrette de Rosine Mbakam en Compétition Officielle, enfin L’Envoyée de Dieu d’Amina Abdoulaye Mamani nominé dans la Compétition du Court.

Des films aux thématiques ancrés dans des localités bien spécifiques mais qui nous parle des conditions et problématiques sociales et géopolitiques – terrorisme au Sahel, conséquences de la crise économique et social au Cameroun, poids des traditions sexistes au Sénégal – que les populations subissent.

Cette année, le sénégalais Alassane Diago est membre du jury qui décerne les Bayard parmi les douze films de la Compétition Officielle. Réalisateur engagé, son premier long-métrage documentaire Les Larmes de l’émigration est multi primé. C’est la première fois qu’il siège en tant que jury dans un festival de cinéma international.

À la remise des prix, l’ambiance est sereine, un peu électrique comme il se doit, et surtout chaleureuse. Bientôt, le soulagement arrive et la fierté avec : L’Envoyée de Dieu de Amina Abdoulaye Mamani rafle le Prix de la meilleure photographie – celle-ci est réalisée par Amath Niang – Banel & Adama repart avec le Prix Découverte et le Prix Agnès, enfin Mambar Pierrette se distingue avec le Prix Agnès de la Compétition Officielle.

Mambar Pierette, femme puissante

Après avoir réalisé Les deux visages d’une femme Bamiléké en 2016, Chez jolie coiffure en 2018 et Les prières de Delphine en 2021, Rosine Mbakam dresse, pour sa première fiction, le portrait d’une force et d’une puissante énergie. Couturière à Douala, Pierrette s’occupe seule de ses enfants et de sa mère malade. Cette femme puissante encaisse coup sur coup un vol à la tire
et une inondation qui envahit sa maison et son atelier. Mais pour Pierrette par de répit, ni de résignation : elle continue vaille que vaille à coudre pour répondre à la forte demande des clientes en cette période de rentrée scolaire. Bien plus que des tissus, c’est sa vie qu’elle file, les soucis de ses amies et clientes qu’elle raccommode, un lien social qu’elle continue de tisser avec ses concitoyennes et concitoyens. Toile fictionnelle nourrie d’une matière largement documentaire, faite de plans serrés et très gros plans, Mambar Pierrette est d’une justesse universelle admirable, sans pathos, à l’image de son actrice principale Pierrette Aboheu Njeuthat, éblouissante, valeureuse et humble. Une œuvre vitale.

Banel & Adama, le rêve d’un amour émancipé du poids des traditions

Banel & Adama c’est l’histoire d’amour brûlante entre Adama et Banel ou plutôt de Banel pour Adama, cet homme qui finit par disparaitre et s’abolir complétement dans son statut et sa communauté. Tandis que Banel s’obstine à vivre ce désir amoureux, cet appel à la liberté d’être et de faire comme bon lui semble ce qu’elle veut, quitte à payer un lourd tribut, celui de son équilibre, de sa réputation et peut-être, de son destin. Car, dans ce film, il y a bel et bien une tragédie dans le sens grec tragoidia, c’est-à-dire un chant pendant le sacrifice d’un être vivant au nom d’une divinité, ici Banel sacrifie ce qui la rattache à sa société et ses règles, au nom de l’amour et de la liberté. Rien de plus tragique donc qu’un cœur qui s’assèche à l’image de son environnement. Si la sécheresse est métaphorique et suit l’arche émotionnel du personnage de Banel – l’image affichant des couleurs très pastel au début pour aller vers le blanc, des tons désaturé à la fin –, elle est aussi une réalité. Le Sénégal connaît un déficit hydrique, tandis que l’exploitation de l’eau augmente. Cette augmentation de la consommation d’eau et les changements climatiques font que la ressource en eau diminue fortement. Laissant planer le risque à très long terme, comme dans le film, d’une extinction massive d’êtres vivants.

L’envoyée de Dieu, le choix de la vie

À l’origine, Amina Abdoulaye Mamani voulait tourner un documentaire sur la vie des survivant.es embrigadé.es de force par Boko Haram pour devenir des kamikazes. Hélas, peu de personnes survivent à cet acte odieux, et celles qui restent se refusent à revivre un tel traumatisme. C’est pourquoi la fiction a pris le pas, avec elle l’idée de mettre en scène Fatima, une jeune fille de 12 ans, choisie au hasard et soumise à des rites funéraires pour accomplir, selon les terroristes, l’œuvre de Dieu. Quand on la dépose au marché d’un village avec une ceinture d’explosifs configurée pour explosée dans 10 minutes, Fatima est incrédule, l’air hagard. Elle se met à déambuler dans les allées du marché, y retrouvant la vie même : les couleurs vives des étales de légumes, de fruits et de vêtements, les mères suivies de leurs enfants, les battements d’ailes des oiseaux qu’on sort de leur cage, etc. Soudain, elle aperçoit
l’étal que tient sa mère qu’elle n’a plus vue depuis des mois. Elle fera le choix de l’attirer hors du marché pour un dernier adieu et lui montrer, une dernière fois, son amour. En vingt-trois minutes, ce film nous prend aux tripes et c’est la gorge serrée que nous applaudissons devant le déroulé du générique. Un film mémorable avec une jeune actrice époustouflante (Salamatou Hassane), sublimée par une photographie exceptionnelle signée Amath Niane et une mise en scène très maîtrisée.

Le spectre de Boko Haram, l’univers de la guerre à hauteur d’enfant
Récompensé par le Tigre d’Or du festival de Rotterdam en février 2023, Le spectre de Boko Haram de la réalisatrice camerounaise Cyrielle Raingou nous plonge, dans les plaies béantes laissées dans la vie des habitants de Kolofata, par les exactions commises par Boko Haram, ce groupe terroriste, qui sévit, hélas, depuis bientôt dix ans. À Kolofata, un petit village au nord du Cameroun, à la frontière avec le Nigeria, la réalisatrice pose simplement son regard sur le quotidien des habitants et des enfants particulièrement (Mohammed et Ibrahim, Falta, Ladki, Isamela, Maloum, etc.) qui a basculé dans les affres de la douleur. Ici, il ne se passe pas un mois sans qu’il y ait une tentative d’attaque de la part de Boko Haram. Pourtant, il semble que les enfants aient conservé ce que les adultes ont oublié : une innocence et une liberté qui contrastent avec les assassinats dont ils et elles font le récit. C’est bien à cet endroit là que Cyrielle Raingou capture, sans aucun artifice, l’immense résistance et la lumière d’une population très forte et très résiliente, avec des plans non intrusifs ou froid. Le montage intelligent ne commente pas son propos, ni ne revêt un caractère pédagogique. Un documentaire qui fait corps avec son sujet, en pudeur et en honnêteté, nous offrant des moments d’une rare sincérité.