
© Ben Doumbia / Facebook
FR Cher parrain Fadika Kramo Lanciné,
Les grandes douleurs, dit-on, sont muettes. Mais, celle qui m’étreint depuis ce matin est si forte que je ne peux retenir mes larmes. Cher aîné, c’est avec un choc terrible
que j’ai appris, ce dimanche 5 juin, la triste nouvelle de ta disparition. Tel un couperet, elle m’est tombée dessus comme un coup de massue. Je n’en reviens pas encore. Même
si les voies du Seigneur sont insondables et que l’avenir le plus sûr de l’homme c’est la mort, je peine à réaliser que tu as donné le clap de fin du film de ta vie. Que je ne
te reverrai plus. Or donc, le vendredi 13 mai dernier, c’était la dernière fois que je te voyais, à l’Institut Français à l’occasion de la projection de la version restaurée
de « Sur la dune de la solitude» de Timité Bassori, dont tu étais très proche (j’image la tristesse qui l’anime en ce moment). Aux côtés du doyen et pionnier du cinéma
ivoirien, tu avais pris la parole, comme tu savais si bien le faire, avec humilité pour instruire les jeunes étudiants de l’Insaac sur cet art que tu adorais et dont tu
pouvais parler durant de longues heures avec passion. Sans t’éreinter.
Indéniablement, tu as écrit une belle page du 7ème art en Côte d’Ivoire avec tes productions cinématographiques et l’histoire retient, à jamais, que tu es le premier cinéaste
à offrir à la Côte d’Ivoire « l’Etalon de Yennenga » (à l’époque la mention liée à l’or n’existait pas), distinction suprême du Fespaco, en 1981, avec « Djéli, conte
d’aujourd’hui ». Après ce film, tu connaîtras, au milieu des années 90, un autre grand succès avec « Wariko, le gros lot ! ». Réalisateur doué, tu étais aussi d’une très
grande culture cinématographique, qui forçait l’admiration lorsqu’on échangeait avec toi. Comme j’ai eu la chance de le faire à maintes reprises, pour divers travaux.
Incontestablement, c’est un baobab du cinéma en Côte d’Ivoire et en Afrique en général, qui se couche à jamais. « Une bibliothèque qui brûle», pour paraphraser Amadou Hampâté
Bâ.
Si le cinéaste séduisait par son talent et sa culture, l’homme, qui se cachait derrière lui, était tout aussi attachant. Humble, pas la qualité la mieux partagée dans ce
milieu ; affable et disponible à souhait. Malgré ton statut et ta renommée internationale, tu répondais spontanément, avec courtoise et enthousiasme, à toutes les
sollicitations, y compris de celles du jeune frère, de loin, que je suis. Quand avec des confrères, nous avons créé en 2013 « Grand Ecran », le réseau ivoirien des
journalistes engagés pour le cinéma – notre association de critiques- tu as accepté sans hésiter un seul instant d’être notre parrain d’honneur. Je me souviens que tu nous as
ouvert grandement les portes de ton bureau à l’Office national du cinéma de Côte d’Ivoire dont tu étais le directeur, ainsi que celles de Palmarès Production, ta boîte avec
laquelle tu développais tes projets ciné. Et surtout, tu as co-animé, avec mon ami Mahrez Karoui, notre tout premier atelier de formation à la critique cinématographique, en
faisant une belle analyse filmique de « Wariko, le gros lot ! ». Ce fut une expérience inoubliable pour les participants. Autre souvenir mémorable avec toi : le dimanche 26
février 2017, nous avons célébré avec faste, à Ouagadougou, durant le Fespaco, l’érection de ta statue en bronze sur la place des cinéastes, aux côtés d’autres lauréats de
l’Etalon d’or de Yennenga ; le « Walk of Fame» du cinéma africain. Je n’oublie pas notre séjour en avril 2016 à Louxor (en Egypte) pour le festival du film africain de cette
localité.
En juillet 2021, lors du lancement des activités de l’association « Ecran Ambulant », marquant l’avènement du cinéma numérique ambulant en Côte d’Ivoire, tu as encore accepté,
sans sourciller, de mettre à notre disposition ton film « Wariko, le gros lot ! » pour une caravane de projections de films dans six communes du District d’Abidjan. Mieux, tu
nous as fait l’honneur de te déplacer avec des acteurs du film et des enfants du héros, Allassane Touré (aujourd’hui décédé), à Abobo pour la projection de ce long métrage. De
même, tu t’es encore rendu à Anoumabo, pour, à chaque fois, échanger avec le public autour de ce film. Deux preuves, s’il en était encore besoin, que tu faisais corps avec ta
passion. Tu ne faisais pas du cinéma, tu vivais le cinéma.
Tu pars sans achever ton nouveau projet qui tenait tant à cœur à savoir la réalisation du premier film ivoirien en 3D : « Les donzelles ». Hélas, mille fois hélas ! Mais,
comme c’est à Dieu que nous appartenons et c’est à lui que nous retournons, tous et chacun, va en paix. Qu’Allah te fasse miséricorde et t’ouvre grandement les portes du
paradis firdaws. Tu resteras à jamais dans le cœur de tes filleuls.
Yacouba SANGARE
Côte d'Ivoire